Le cidre, c’est beaucoup plus que le cidre
EXCLUSIF Le chef Olivier Roellinger, le sommelier Éric Beaumard, le crêpier Bertrand Larcher et le beurrier Jean-Yves Bordier se sont réunis, samedi 9 janvier, à Saint-Malo lors d’une dégustation organisée pour « Le Figaro ».
Sébastien Lapaque
EXCLUSIF Les restaurants gastronomiques et les crêperies, qui proposent une carte des cidres élaborée avec un soin particulier, se comptent sur les doigts d’une main. Et encore cette main est-elle souvent amputée du pouce et de l’index. En général, les grandes maisons inscrivent à leur carte le cidre d’un bon producteur, parfois deux, rarement trois. L’idée d’en proposer cinq, dix, vingt et même soixante, comme le fait aujourd’hui Bertrand Larcher au Breizh Café de Saint-Malo, ne s’est pas répandue. « La valorisation du cidre tarde, nous explique le crêpier, également installé à Cancale et dans le IIIe arrondissement de Paris. Ou bien elle est confidentielle. »
C’est le chef cancalais Olivier Roellinger qui, le premier, osa élargir l’horizon de l’amateur de cidre. Il y a vingt ans, son magasin Le Cellier proposait dix-huit références différentes. Un prodige pour l’époque. Aujourd’hui, quatre cidres sont présentés sur la carte des boissons de son restaurant Le Coquillage. Mais Gaylord Goulette, son sémillant sommelier, travaille à une sélection d’une douzaine de cidres. « Uniquement des bretons », précise-t-il avec un sourire gourmand.
Olivier Roellinger et Gaylord Goulette étaient naturellement présents à la dégustation de cidres organisée pour Le Figaro par Bertrand Larcher et sa sommelière, Carine Bigot, ce samedi 9 janvier à Saint-Malo. « Il est temps de boire le cidre et d’en parler avec autant de chaleur et de sérieux que du vin. C’est une boisson de soif, mais on n’a pas encore compris que cela pouvait être une boisson de plaisir », nous explique le crêpier, qui partage sa vie entre la France et le Japon, où il a ouvert sept établissements dédiés à la galette de sarrasin. Pour goûter le cidre et le célébrer, il avait également convié Éric Beaumard, le sommelier du restaurant du George V, natif de Fougères, et Jean-Yves Bordier, fromager et beurrier voisin du Breizh Café, rue de l’Orme à Saint-Malo. Pour la parité Bretons-Normands, c’était un peu raté. Mais le casting d’amateurs de cidre était presque parfait.
« Sur une quarantaine de cidres français, qui me paraissent aujourd’hui au-dessus du lot, j’en ai retenu vingt-trois », explique Carine Bigot avant que les travaux pratiques ne commencent. Le goût de cette sommelière, enthousiaste et érudite, a été formé à l’école du vin naturel. Elle apprécie aujourd’hui les qualités d’un cidre comme elle appréciait naguère celles du morgon de Marcel Lapierre, du bourgueil de Catherine et Pierre Breton ou du champagne d’Anselme Selosse - qui se serait volontiers joint à nous à Saint-Malo, mais qui était occupé à tailler ses vignes.
« Plutôt que par régions, nous allons les goûter par familles, des plus secs au plus sucrés », poursuit-elle. Selon la loi, les cidres se déclinent en trois catégories : bruts (moins de 28 g de sucre), demi-secs (entre 28 et 42 g) et doux (plus de 35 g). Mais le cidre est beaucoup moins encadré que le vin et les étiquettes sont souvent un peu floues, voire fantaisistes.
Des cidriers emploient d’autres catégories telles que extra-brut, sec, extra-sec, ou même brut nature pour un cidre à zéro sucre dont la fermentation a été poussée au maximum. Dépaysement garanti ! C’est presque le cas de la cuvée Le Cid’, produite par Étienne Leroy à Huisnes-sur-Mer (Manche), à 4 kilomètres au sud-est du Mont-Saint-Michel. « Il ferait merveille sur des huîtres », jure Gaylord Goulette.
L’impression de sucré est plus vive avec le brut fouesnantais de François Séhédic. Nous avons fait un petit tour en Normandie, mais nous sommes rapidement revenus en pays breton… Vient ensuite le tour de la cuvée du Paysan du Domaine de Kerveguen. On se souvient des Tontons flingueurs. « Vous avez beau dire, il n’y a pas seulement que de la pomme, il y a autre chose. » De la passion, de l’amour et même un brin de folie… « Éric Baron est le premier à avoir porté le cidre au niveau du vin », rappelle Olivier Roellinger. Il a probablement été dépassé depuis par les cidriers de la nouvelle génération (Éric Bordelet, Johanna Cecillon, Nicolas Poirier, Cyril Zangs), mais ce rôle précurseur doit être souligné.
De même que celui de Loïc Berthelot, en Ille-et-Vilaine, et celui de Jean-Yves Prié, dans les Côtes-d’Armor. Breton mais pas chauvin, Éric Beaumard a inscrit l’incroyable cuvée Sydre produite par Éric Bordelet, en Mayenne, sur la carte des vins du restaurant du George V. Ancien sommelier d’Alain Passard, Éric Bordelet est aujourd’hui le chouchou des tables étoilées. Il s’est fait une certaine idée du cidre et l’a élevé à une hauteur inédite. De même que le Normand Cyril Zangs, qui a la cote dans les bars à vins. Malgré un nom anglais qui chagrine Olivier Roellinger, sa cuvée This Side Up émerveille l’assistance. Établi près de Lisieux, juste, clair, rigoureux, Cyril Zangs millésime ses cuvées, un exemple à suivre.
Au même niveau d’excellence que Bordelet et Zangs, il n’y a sans doute aujourd’hui que Johanna Cecillon, « vigneronne de pomme », dont les cuvées Divona et Nantosuelta nous ont raconté des merveilles. L’art cidrier n’est pas réservé aux seuls hommes.
À Noyal-sur-Vilaine, près de Rennes, Florence Loisel produit un cidre frais, fruité, facile à boire, qui ne lasse pas d’enchanter Jean-Yves Bordier dont l’usine et les caves d’affinage sont voisines.
Parmi les belles découvertes de Carine Bigot, saluons le cidre Au Bonheur des Pommes de Michel Paris et les cuvées de la Distillerie du Gorvello, aux destinées desquelles veille Nicolas Poirier dans le Morbihan. À ceux qui se souviennent qu’on produit du cidre dans beaucoup d’autres régions françaises (Alsace, Bourgogne, Pays basque, Savoie). Nous les avons goûtés. Disons-le sans sourciller : ces jus sont souvent très sympathiques, mais le niveau d’élévation n’est pas le même.
Pour apprendre à se souvenir, notre savante dégustation s’achève avec le brut élaboré par Jehan Lefèvre à la ferme des Landes à Saint-Cast-Le Guildo. « Il faut avoir bu du cidre à la ferme dans son enfance pour comprendre le plaisir que procure ce jus », assure Marie Beaumard, l’épouse du sommelier. Nous avons évoqué l’avenir du cidre, nous revenons à son passé. La boucle était bouclée.
Breizh Café : 6, rue de l’Orme, Saint-Malo (35) ; 7, quai Thomas, Cancale (35) ; 109, rue Vieille-du-Temple, Paris (IIIe). www.breizhcafe.com